mercredi 14 juin 2017

L'art vidéo, par Lilla / Exposés série IV : mouvements artistiques

> Introduction : qu’est-ce qu’un mouvement artistique ?

Un mouvement artistique se caractérise par plusieurs points : d’abord, on y trouve un groupement d’artistes aux idéaux artistiques proches ce qui forme une esthétique commune à travers les oeuvres. La naissance d’un mouvement est souvent reliée à son contexte et peut avoir une fonction de dénonciation du contexte dans lequel il naît, ou une volonté de révolution artistique. On peut voir deux sortes de mouvement artistique : celui qui est défini par les artistes eux-mêmes ou celui qui est défini extérieurement (parfois par des historiens de l’art, des critiques, etc). Il peut être relié à un mouvement littéraire comme le Réalisme. Il peut passer par divers médiums : peinture, sculpture, musique, performance, photographie, etc.
Ce qui est intéressant avec l’art vidéo, c’est que ce n’est pas un mouvement : on n’y trouve pas une particulière esthétique commune, ni un groupement d’artiste.

> l’Art Vidéo : qu’est-ce que c’est exactement ?

L’Art vidéo est une pratique artistique qui traite de l’image vidéo analogique ou numérique, s’inscrivant dans l’Art Contemporain. Il nécessite l’emploi d’un instrument de prise de vue (caméra, caméscope, Smartphone) et d’un système de diffusion (projecteur et écran, téléviseur, moniteur, écran numérique, mur).  Le vidéaste recherche, expérimente, explore toutes les potentialités de l’image, et l’un de ses questionnements premiers est le statut du spectateur. L’installation de l’oeuvre de l’artiste et sa présentation ne sont donc pas sans sens, et peuvent mêler technologie et espace, comme l’on trouve dans les oeuvres Present Continuous Past, Dan Graham, 1974 ou Fish flies on sky, Nam June Paik, 1985. Parfois, l’art vidéo ne s’inscrit pas forcément dans un décor et l’oeuvre ne peut être que la vidéo elle-même (I’m a victim of this song, Pipilotti Rist, 1995). Comme dirait Marcel Duchamp, “C’est le regardeur qui fait l’oeuvre”. Aujourd’hui, la vidéo a infusé tous les champs de la création contemporaine, facilitée en cela par la démocratisation des outils numériques.


> Les spécificités de ce médium

Le lien entre l’Art Vidéo et le cinéma se fait automatiquement dans l’esprit de certains. Ce sont pourtant, pour moi, deux arts très distincts, par de nombreux points. D’abord, la captation d’image est différente : bobines ou vidéo pour le cinéma et télévision et pixels pour l’Art Vidéo. De plus, le support du cinéma est unique, alors que celui de l’Art Vidéo diffère en fonction des exigences de l’artiste (internet, télévision, systèmes de surveillance, …). Les deux arts peuvent utiliser par contre des outils parfois similaires (caméra, camescope, parfois même smartphone) même si l’Art Vidéo se permet une plus grande liberté sur ce sujet. Nous pouvons au contraire dire que la frontière entre le cinéma expérimental et l’Art Vidéo se fait de plus en plus fine : entre les deux arts, seulement l’endroit de présentation diffère.
Parmi les premiers, les surréalistes, comme Salvador Dali et Luis Buñuel avec leur court métrage Un chien Andalou (1929), questionnent cette frontière entre le cinéma expérimental et l’Art Vidéo.

> Sa naissance et son contexte


L’installation des vidéos dans le milieu de l’Art est liée aux progrès technologiques pendant les années 60, là où on trouve l’explosion de la société de consommation et du mass-média. L’Art vidéo nait donc principalement en Europe et aux États-Unis, et se répend à travers différents mouvements : en 1963 à travers le Pop Art (Sleep, Andy Warhol), en 1965 à travers le Fluxus (Cut Piece, Yoko Ono) ou encore en 1968 à travers l’Art Minimal (Hand Catching Lead, Richard Serra).
On garde surtout en mémoire l’oeuvre de Nam June Paik, Exposition of Music - Electronic Television, en 1963, qui serait vue comme une date officielle de la naissance de l’Art Vidéo.

> La vidéo comme oeuvre sculpturale

 Vidéo-fish, Nam June Paik, 1979-1992                     Nam June Paik (1932-2006)



Nam June Paik est un artiste coréen et majeur de l’émancipation de l’Art Vidéo. Il est le fondateur du Fluxus, très relié à l’Art Vidéo qui relient arts visuels, musique et littérature. La base de son travail se porte sur la manipulation des images télévisuelles et des téléviseurs eux-mêmes. A travers l’Art Vidéo et Fluxus il questionne la politique et sa société dans laquelle il vit.

Dans une pièce plongée dans le noir, sept moniteurs vidéo sont posés derrière un nombre équivalent d’aquariums aux dimensions semblables. Ainsi, le visiteur découvre les images diffusées sur sept écrans à travers l’eau dans laquelle évoluent des poissons japonais. Ces images, réalisées par Paik, traitent de légèreté et de suspension des corps dans l’air ou dans l’eau. Il faut aussi voir dans cette installation un lien métaphorique entre le regard sur la télévision et celui sur un aquarium, objet d’une contemplation hypnotique.
Devenu objet sculptural, le poste de télévision intègre le musée, soit comme simple récepteur du travail d’un artiste, soit en étant directement impliqué dans un dispositif. Renvoyant à la cellule familiale et au divertissement, la présence de cet objet est là questionnée non seulement pour sa fonction mais aussi pour sa forme-objet.

> L’importance de l’installation

Present Continuous Past(s), Dan Graham, 1974



En règle générale, l’œuvre vidéo intègre le point de vue du spectateur. Des installations monumentales peuvent occuper des salles entières de musée, alors que des moniteurs standards peuvent suffire à d’autres œuvres. L’artiste vidéaste exprime des exigences visuelles et sonores quant aux conditions d’exposition de ses œuvres : le niveau de luminosité de la salle, le format de l’écran, le mode de projection, la distance du projecteur, l’emplacement des spectateurs, ou encore le dispositif sonore. Un dispositif fréquemment utilisé est celui de la black box, un espace aux parois noircies spécialement dédié au visionnage de l’œuvre vidéo, proche de la salle de cinéma, invitant à la contemplation et préservant de tout parasitage.

Dan Graham commence à utiliser la vidéo dans le cadre de performances. À partir des années 70, elle devient partie intégrante de ses travaux et non plus simple outil documentaire. Present Continuous Past(s), 1974 (image ci-dessus) est un espace composé d’une salle dont deux murs sont en miroir, un troisième comportant un moniteur vidéo relié à une caméra quasi invisible. En entrant dans la salle, le spectateur est filmé à son insu, et son image est retransmise sur l’écran avec cinq secondes de retard (grâce à un ordinateur), et le jeu des miroirs reproduit cette ’image à l’infini. Le spectateur devient donc l’objet et le sujet d’une véritable expérience en entrant dans l’espace de l’œuvre.

> La picturalité de l’image et la manipulation vidéo

The Reflecting Pool, Bill Viola, 1977-1979


Bill Viola est un acteur majeur de la seconde génération des artistes vidéastes en partie grâce à son oeuvre ci- dessus The Reflecting Pool (1977-1979) où il explore les capacités de trucage de la bande magnétique.

Dans cette oeuvre, l’image se divise en deux parties : une forêt dans la partie haute, une piscine dans la partie basse. La caméra reste fixe, crée un plan-séquence de sept minutes. Sortant des bois, un homme s’installe au bord de la piscine, au centre de l’image. Son corps se reflète dans l’eau. Soudain, il saute en l’air et son corps se fige dans le vide, comme dans un « arrêt sur image ». Cet arrêt ne concerne que l’homme puisque le reste des éléments continue à évoluer (les branches, l’eau, le son de la forêt …). Puis, le reflet du corps disparaît. Progressivement, c’est au tour du corps de l’homme de disparaître, de s’effacer point par point, tandis que son reflet va réapparaître. À la fin de la vidéo, l’homme sort de l’eau, nu, et s’enfonce dans la forêt.
Il joue à la fois sur la contemplation et la temporalité de l’image par ses vidéos très lentes, nous sommes spectateur de quelque chose qui ne se trouve pas devant nous. B. Viola divise son image en trois temps distincts : le temps réel, le temps suspendu et le laps de temps, et en crée un nouvel espace unique.
Au delà de la simple image, il questionne la picturalité de l’image et franchit les limites du médium.
 
Oeuvre de nos jours : Kingsley Ng Galaxy Express, Fiona Lee, 2013

 

Ici, l’installation fait partie intégrante de l’oeuvre : il y a un long couloir où le spectateur a la capacité de s’asseoir sur des sièges disposés au milieu de ce couloir. Sur les murs, plusieurs écrans qui projettent des vidéos d’une vue de fenêtre d’un train qui démarre, puis avance. Immersion totale, qui peut nous faire croire que l’on est autre part ou nous faire oublier là où l’on est vraiment.

> Conclusion : au final, qu’est-ce que ça apporte ? Pourquoi ce choix ? Et après ?

L’Art Vidéo nous montre quelque chose de fondamental : le rapport entre le spectateur et l’oeuvre peut faire tout le pouvoir d’une oeuvre d’art. C’est un médium qui est sans cesse en évolution depuis les années 1960 intimement dû aux progrès technologiques et informatiques. L’apparition de la couleur, la miniaturisation des instruments de prise de vue, la révolution numérique, le  développement d’Internet et la démocratisation des logiciels de montage ou de modélisation sont autant de nouveautés qui ont considérablement élargi la palette des artistes. Aujourd’hui, l’art vidéo est particulièrement protéiforme. Il peut user des dernières innovations ou à l’inverse revisiter sa propre histoire en exploitant d’anciennes technologies.

Si j’ai fait ce choix, c’est en parti dû à l’oeuvre I’m a victim of this song (Pipilotti Rist, 1995). A travers un vidéo-clip sensible, l’artiste ressort une critique sociétale sur la sur-médiatisation qui sonne tel un traumatisme.
L’Art Vidéo ouvre sur d’autres champs artistiques en exploitant aussi le son, la musique, le texte. Il est souvent associé à d’autres disciplines  comme la danse, le théâtre, le cirque, les performances…
Dans la continuité de cet exposé, vous pouvez consulter le site UBUWEB, vidéothèque en ligne.

> Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=ygxcsUiuSg4
https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_vid%C3%A9o
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-nouveaux-medias/ENS-nouveaux-medias.html
https://www.youtube.com/watch?v=XX6SkqAwtA4&t=341s
http://cache.media.education.gouv.fr/file/Daac/45/0/La_video_tout_un_art_Frac_Aquitaine_344450.pdf (page 2 à 4)